Eco-anxiété : c’est grave docteur ?

4 Français sur 5 seraient touchés par l’éco-anxiété*. Troubles du sommeil, solitude, abattement, tristesse, sentiment d’injustice, colère…  voici tous les délicieux états dans lesquels ce « spleen green », ou « burn out bio » comme les baptise Laure Noualhat, nous plonge.


Éco-anxiété, peine écologique, solastalgie : c’est quoi au juste ?

Vous ressentez une peine infinie en assistant à la dégradation de milieux naturels ? En constatant, impuissant, la disparition de nombreuses espèces ? En réalisant toute la perte de savoirs liés à ces destructions ? Ou encore en sentant qu’il vous faut déjà renoncer à l’avenir dont vous rêviez ? Bienvenue chez les éco-anxieux. Certains auteurs parlent même dans ces cas-là de stress pré-traumatique. Ils comparent le travail psychologique à réaliser pour s’en « sortir » à celui d’un deuil. Glenn Albrecht est l’inventeur du mot « solastalgie » (venant de solacium, réconfort, et -agia, douleur physique). Il définit ainsi ce malaise et cette peine mélangés, un état de tristesse écologique, lié à la perte présente et effective d’un lieu de vie. Car oui, on parle ici bien de sentiment de détresse et de perte. Qu’il faut apprendre à supporter pour avancer. Mais la bonne nouvelle, comme le dit l’humouriste Marine Leonardi, c’est que « vous n’êtes pas seuls ».

Éco-anxiété : quand il manque les mots pour le dire

Comme l’expliquent Pablo Servigne et Nathan Obadia dans Le Pouvoir du Suricate, l’un des problèmes c’est que l’on manque de mots pour dire nos angoisses (peurs immédiates) et notre anxiété (peur diffuse et latente). Pour eux, cela tient au fait que notre société ne sait pas faire le lien entre ses émotions et le vivant. D’ailleurs dans son livre Les émotions de la terre, Glenn Albrecht dresse une cartographie des émotions en lien avec le vivant. Ecophobie, terreur planétaire, mermérosité, météoranxiété… L’anxiété liée à la destruction du vivant peut prendre de nombreux visages ! Dans cet esprit, Jeanne Hénin a fait appel au grand public pour inventer les mots qui nous manquent. Dans Les mots qu’il nous faut, elle décrit ainsi des émotions jusque-là non verbalisées. Un livre aussi poétique que nécessaire et juste qui touchera en plein cœur les éco-anxieux.


« Par rapport à la quantité d’angoisse qui est notre lot, que nous devrions ressentir, nous sommes tout simplement des analphabètes de l’angoisse

Günther Anders


Éco-anxiété : pourquoi c’est si difficile ?

Pour désigner ces phénomènes qui nourrissent l’éco-anxiété, les auteurs ne mâchent pas leurs mots : on parle d’« effondrement », d’« hyper-objets » (Timothy Norton), de « méga-menaces », « d’évènements supraliminaires »… Quand on arrive à cette prise de conscience on atteint le stade 5 de l’échelle de prise de conscience établie par Cherfuka : le « predicament ». C’est-à-dire le moment où l’on réalise que tout est complexe, imbriqué et que tout nous dépasse. Que les dangers sont inéluctables, diffus, intangibles, imprévisibles, incontrôlables… On ressent à la fois une hyper-responsabilité aigüe face à tout cela et… une impuissance totale.


« Nous sommes affreusement troublés par le simple fait d’exister, et nous représentons un danger pour nous et le reste du vivant »

Edward O.Wilson

Éco-anxiété : vivre au milieu du déni

Mais ce qui ajoute de l’intolérable à la panique de l’éco-anxiété, c’est aussi le sentiment d’impuissance totale face à ces menaces. Impuissance individuelle d’abord : « par où je commence ? ». Mais aussi impuissance collective quand ceux qui devraient nous en protéger, ne cessent de les évacuer, les minimiser ou les nier. « L’éco-anxiété chez les jeunes est surtout causée par la défection, la non-action et l’irresponsabilité des gouvernements en matière d’écologie (quand ce n’est pas la participation à l’écocide) », expliquent Servigne et Obadia. Alors on mesure le pouvoir infiniment destructeur d’un « « Allez petite arrête ta grève et retourne à l’école » expédié à Greta Thunberg !


En tant que société, nous sommes coincés entre le sentiment d’une apocalypse imminente et la peur de la reconnaître. Et c’est à cet endroit précis que nos réponses sont bloquées et confuses”.

Joanna Macy


Éco-anxiété : bonne nouvelle, vous êtes normal !

Vous êtes éco-anxieux ? C’est une bonne nouvelle ! Pourquoi ? Joanna Macy le décrypte : “Notre peine pour le monde est l’expression saine de notre appartenance à la vie.” Certains préfèrent même les termes d’éco-sensibilité, d’éco-lucidité ou encore d’éco-empathie pour en parler. Servigne et Obadia confirment : « il faut se souvenir qu’une personne éco-anxieuse est une personne consciente et pleine d’énergie d’action, mais qui n’arrive pas à canaliser cette énergie. Beaucoup de gens sont prêts à changer le monde, et pour eux, le drame se situe dans le statu quo. Il est bien plus effrayant que l’action. » Pourtant, ils le précisent et vous le ressentez peut-être déjà dans votre tête et votre corps : vivre en permanence avec un tel niveau d’angoisse n’est pas possible !

Si l’on veut continuer à penser l’effondrement, à chercher à agir, à donner du sens à nos vies, ou simplement à se lever le matin, il est important de ne pas devenir fou. Fou d’isolement, fou de tristesse, fou de rage, fou de trop y penser, ou fou de continuer son petit train-train en faisant semblant de ne pas voir.” 

Servigne, Stevens et Chapelle


Éco-lucidité : accueillir la peur pour mieux l’évacuer

Selon l’auteure Laure Noualhat, “entrer en écologie, ne serait-ce pas dans le fond, entamer une dépression, personnelle d’abord, puis collective tout de suite après ? Fort heureusement, cette dépression n’est que transitoire : vient ensuite la remontée de la pente avec, en premier lieu, l’acceptation, la résilience, puis l’action et la sérénité retrouvée.” C’est la fameuse remontée du U : selon la théorie U, la descente correspond à la prise de conscience (parfois violente) de la situation. Dans le creux du U, on s’aligne en étant présent à soi. Puis la remontée permet l’émergence de solutions nouvelles et concrètes. C’est sur ce modèle que Frédéric Laloux et Hélène Gérin ont imaginé The Week : 3 jours à vivre en collectif pour prendre conscience de l’état du monde puis imaginer des solutions concrètes. Pour dépasser l’état d’angoisse, Sutter et Steffan** parlent même de « métanoïa », ou vie après l’angoisse. Les auteurs qui se sont penchés sur le sujet distinguent deux voies pour apprendre à se laisser traverser par l’éco-anxiété : l’une, intérieure, est d’ordre spirituel/émotionnel, l’autre, extérieure, se situe dans l’action.

La reconnaissance que ces deux transformations, extérieure et intérieure, fonctionnent en parallèle et doivent se dérouler simultanément, était la pièce manquante des mouvements écologistes des années 1970.”

Michael Greer


Éco-anxiété : accueillir la peur pour mieux la transformer

Commençons par la voie spirituelle. Comment faire pour recommencer à vivre quand tout nous parle au mieux de survie et au pire de mort ? Servigne et Obadia, une fois de plus, ont une théorie séduisante. Tout l’enjeu est de recréer du lien et du sens :

  • Du lien à soi d’abord, en prenant soin de son corps et de ses pensées. En apprenant à détecter les effets de la peur sur nous, pour mieux pouvoir la décharger et la transformer. Le corps (et c’est plutôt nouveau) tient une grande place dans leur théorie : c’est le premier à capter la peur, il est donc crucial de l’aider à l’évacuer.
  • Du lien au collectif ensuite, car se sont les liens d’entraide, de solidarité, de communauté qui sont les plus solides pour nous sortir de la panique. En se reconnectant ainsi à son corps, ses pensées, et aux autres, on crée des « bulles de sécurité » à partir desquelles on peut se retaper et… vivre.

Leurs ingrédients ? Observation, autocompassion, humour, gratitude, curiosité, bienveillance, persévérance… Quand on ne sait pas par où commencer, leur méthode en 6 étapes est très utile.


Le pouvoir du Suricate / Apprivoiser ses peurs pour le siècle à venir Servigne et Obadia

Éco-anxiété : accueillir ses peurs comment on s’y prend ?

Accueillir ses peurs c’est déjà les nommer bien sûr. Mais parfois cela ne suffit pas, ou on n’y arrive pas. Heureusement il existe des méthodes pour « honorer notre souffrance au monde ». C’est le principe de base du Travail qui relie, méthode développée par Joanna Macy, spécialiste de l’espérance qui met en mouvement. Dans son livre du même nom, elle insiste sur le fait qu’accueillir sa peine est le préalable à toute avancée. Pour cela, elle recommande plusieurs façons de faire : des exercices pour apprendre à verbaliser et extérioriser des peurs qui, nous dépassent tellement, que parfois on ne préfère pas les nommer. Pratique artistique, groupe de parole, méditation, mise en place de rituels… Chacun peut trouver un média dans ses propositions pour se connecter à sa douleur. Car comme elle le rappelle : « la souffrance pour le monde est normale, saine et très répandue. ».

Éco-empathie : cerner son périmètre d’action

Avez-vous déjà entendu parler des notions de cercle de préoccupation et de cercle d’influence ? On les utilise notamment en CNV (communication non violente) pour expliquer comment désamorcer des mécanismes de pensées stériles. Pour cela on imagine deux cercles, le cercle de nos préoccupations, à l’intérieur duquel se trouve notre cercle d’influence. Dans le cercle de nos préoccupations, nous n’avons pas d’impact possible. En revanche, dans notre cercle d’influence, on peut agir de façon directe ou indirecte. Et plus on agit dans son cercle d’influence, plus on l’élargit. Ce schéma fonctionne aussi très bien pour appréhender son éco-anxiété. Si l’état de la biodiversité entre dans notre champ de préoccupation, mieux vaut consacrer notre énergie à la protéger là où l’on peut agir concrètement à notre échelle. Plutôt que (de seulement) continuer à nous désoler pour un état planétaire, des décisions politiques, des actions de lobbys sur lesquels nous n’avons que peu d’influence individuellement. Cela rejoint la théorie des petits pas, la goutte du colibri et in fine notre conviction de l’importance des micros récits.


Grand récit ou micro-récit : par où commencer ?

Éco-sensibilité : agir de façon harmonieuse

Oui se mettre en action peut faire baisser le volume de l’éco-anxiété. Surtout si elle est « harmonieuse » précisent Servigne et Obadia. “Harmonieuse” signifiant ajustée à votre énergie et vos capacités. Évidemment les actions individuelles sont importantes car c’est la somme de toutes ces actions qui crée le terreau propice à un basculement culturel. C’est en agissant que l’on ouvre des possibles pour son entourage. Mais pour prendre soin de votre petit cœur, les auteurs recommandent aussi les actions qui nous replacent dans le collectif. Laure Noualhat illustre : « une étude (2022) conduite auprès d’environ 300 jeunes adultes américains conclut que l’action collective diminue ou supprime les effets mentaux négatifs de l’éco-anxiété, ce qui n’est pas le cas de l’action individuelle. » Alors on vous souhaite de rencontrer vos peurs pour mieux les transformer en énergie créatrice pour un monde plus cool. Promis c’est possible, nous aussi on s’y met.




* En France, en 2023, un rapport du Conseil économique, social et environnemental20 révèle que quatre Français sur cinq seraient touchés par l’éco-anxiété21. / Enquête menée par Ipsos auprès de 1.256 personnes entre le 1er et le 14 septembre 2023.

** N’ayez pas peur du collapse, Sutter et Steffan

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