Quand on rêve de changer le monde, forcément on rêve en grand. Car il y a tant à faire. C’est bien sûr nécessaire de savoir vers où on veut aller, mais comment on s’y prend concrètement ? On commence par où ? On casse tout et on recommence ? C’est justement là que la magie du micro-récit opère. Décryptage de l’application des nouveaux récits aux marques.
Changer de récit : l’urgence d’inventer de nouvelles histoires
Cyril Dion l’explique brillamment dans son livre Petit traité de résistance contemporaine : pour changer la direction que prend le monde, il est urgent de raconter de nouvelles histoires. Car depuis toujours nous sommes une espèce qui aime se raconter des histoires. Parce qu’elles nous permettent de digérer émotionnellement toutes les informations qui nous parviennent. Parce qu’elles nous relient aux autres et créent le ciment de nos sociétés. Mais qui peut vraiment créer ces mythes et ces imaginaires qui nous gouvernent inconsciemment ? Qui peut écrire ces récits et ces histoires qui racontent nos vies consciemment ? Tout le monde bien sûr. Citoyens, artistes, associations, politiques… Mais aussi (et cette réponse est aussi enthousiasmante qu’effrayante) : les marques. Aujourd’hui les marques ont, sous le coude, un potentiel transformateur énorme !
Pourquoi l’humanité est-elle accro aux histoires ?
Comment les marques peuvent-elles créer de nouveaux imaginaires ?
Oui les marques et leurs communicants ont aujourd’hui un rôle crucial à jouer dans l’émergence d’un monde plus juste, plus durable, plus heureux. Certains diront peut-être que c’est un dernier soubresaut de nos métiers du « monde d’avant » avant l’apocalypse ? Peut-être. Ou peut-être pas. Alors essayons ! Car aujourd’hui les marques sont devenues de vrais agents culturels. L’un des piliers de ce grand récit qu’est le capitalisme. Ont-elles vraiment le pouvoir de faire évoluer cette « architecture invisible » qui structure notre société sans même que l’on en ait conscience ? Oui car elles peuvent changer notre regard sur le corps, sur l’âge, sur le genre, sur les codes de la réussite sociale, sur la propriété, sur les façons de se ressourcer, de se divertir… Leur métier c’est de créer de la valeur et elles ont ce pouvoir incroyable de donner de la valeur à ce qui compte vraiment. Un exemple ? Dove et son révolutionnaire “body positive attitude” il y a quelques années ont bouleversé les codes sur la perception des corps dans leur réalité. Et on voit aujourd’hui de plus en plus de marques oser s’affranchir des standards sur la question des corps (vive les poils et les bourrelets !). Ou sur la question de l’âge.
Construction/déconstruction : comment les nouveaux récits changent nos regards sur le monde ?
Voir grand, mais commencer petit : la puissance du micro-récit
« Ce dont nous avons instamment besoin est de changer de récit et de nous organiser. Et, ainsi, d’aiguiller la fourmilière humaine dans une autre direction. » dit Cyril Dion. Ok mais on commence par où quand on a des objectifs annuels ? En tant que communicantes, on a longtemps tourné autour de cette question, complètement perplexes. Les mots sont notre métier. L’écologie, on baigne dedans depuis des années. Mais comment faire notre part sur ce sujet existentiel depuis notre place à nous ? Après quelques années à décortiquer la question, une réponse a surgi : à défaut d’écrire un grand récit universel qui changerait à tout jamais la destinée de l’humanité, nous pouvions commencer par écrire des petits récits. En résumé, adopter une posture qui mélange l’esprit de la goutte du colibri et la célèbre stratégie des petits pas appliqués aux nouveaux récits. L’idée c’est de commencer par petit, mais de commencer là où l’on peut avoir un impact, tout de suite, maintenant et concrètement. Inventer un micro-récit, c’est déjà alimenter les nouveaux imaginaires dont nous avons tant besoin.
Ok, intéressant mais c’est quoi un micro-récit concrètement ?
Une fois qu’on a dit qu’il fallait penser grand mais commencer petit, on n’a pas dit grand-chose de plus qu’une évidence. De nombreuses marques ont travaillé leur raison d’être. Certaines ont une vision prospective de là où elles veulent être en 2050, et leurs équipes ont peut-être été formées à la fresque du climat ou des nouveaux récits. Et pourtant le monde n’a pas changé. Car comment, une fois de retour dans le présent, donner de la réalité à tout cela ? Toute l’idée (et la puissance) du micro-récit consiste en fait à se poser la question de l’alternative. Autour d’un produit dont on doit faire la promotion par exemple : quelle histoire raconter ? à quelle norme sociale faire référence ? à quels stéréotypes faire appel ? Et quel pas de côté faire, quelles alternatives proposer ? Penser micro-récit c’est passer en revue une série de critères sur chaque texte ou chaque image que l’on produit pour se demander s’ils répondent au brief (qui, pour rappel, est : participer à un monde plus juste, plus durable, plus heureux).
Micro-récit : le petit a-t-il vraiment un impact ?
Oui se poser la question de l’impact du petit, c’est entrer dans un vaste débat. Un débat qui souvent oppose action individuelle et action collective. Cyril Dion (oui on l’adore) apporte une réponse éclairante : « Les actions individuelles sont fondamentales. Non seulement parce qu’elles s’additionnent, mais aussi parce qu’elles sont le ferment de transformations culturelles plus vastes. » Ce qui fonctionne au niveau de l’individu, est aussi applicable au niveau de la marque. Il continue : « je pense que la plupart des êtres humains sont plus intéressés, à long terme, par l’idée d’être utiles, heureux, créatifs, de donner du sens à leur existence, que de s’acheter de nouveaux fours ou de nouvelles tablettes. Et bien souvent ils font l’un (acheter) pour compenser l’absence de l’autre (trouver du sens). » Passer de la marque qui vend un nouveau four, à la marque qui reconnecte au plaisir de se nourrir sainement ? Qui valorise la créativité en cuisine ? Qui redonne un sens collectif au repas ? C’est un petit pas, mais n’est-ce pas déjà un pas vers du plus heureux, du plus solidaire, du plus durable ?
Les nouveaux récits peuvent-ils vraiment changer le monde ?
Vous avez trois heures. Cette question digne d’une épreuve du bac. Le constat : aujourd’hui le modèle de notre société n’a plus d’avenir. Alors l’important (et l’urgent !) c’est d’ouvrir le champ des alternatives. De libérer les imaginaires. De démultiplier les nouveaux récits. D’inventer des contre-récits. D’explorer des milliers de micro-récits. Où chacun pourra se retrouver en fonction de ses envies, de ses talents, de ses croyances. Car demain on aura besoin de tout le monde pour inventer autre chose. Or c’est la diversité des solutions proposées qui fera la résilience de notre système commun. Car cette diversité nous protège aussi de la domination d’un seul et unique macro-récit qui, s’il semble peu probable, présente toujours le risque de prendre des airs de dictature.
Comme le dit Jonathan Kozol « Choisissez des batailles assez importantes pour compter, mais assez petites pour gagner ». Les marques ont en main les clés pour remporter la bataille des imaginaires. Accélérer la bascule des imaginaires. Alors commencer par changer leurs micro-récits, c’est un petit pas pour elles, mais un grand pas pour l’humanité.