Question épineuse pour tous les éco-anxieux (et les autres !) : que dire de la fin du monde qui vient à nos enfants ? Comment informer sans paniquer ? Comment les préparer sans les déstabiliser ? Une question difficile car elle implique que nous ayons les idées claires sur un sujet qui souvent appuie plus sur des angoisses que sur des certitudes. Voici quelques clés, idées de compétences, d’outils ou d’activités, tirées des lectures de nos auteurs/penseurs sur le sujet.
Positiver le futur : bonne ou mauvaise idée ?
Quand on s’adresse aux enfants, on a spontanément envie d’alléger les sujets graves. Qui a déjà réussi à répondre franchement à une première question sur la mort ? Il est parti en voyage, il est au ciel… C’est souvent difficile de répondre aux questions qui peuvent déclencher des émotions intenses et profondes (chez eux et donc chez nous). Parler de la fin possible du monde que l’on connaît, à ses enfants c’est pareil. Est-il possible de préparer en douceur aux deuils écologiques en cours ? On s’en rend bien compte, ce n’est pas en disant que quelqu’un qui comptait s’est envolé sur un nuage que l’on annule la tristesse liée au manque. Idem, on a quand même l’intuition que ce n’est pas en disant que tout va bien que l’on équipe le mieux ses enfants pour comprendre et s’adapter au monde qui change.
“L’optimisme aveugle ne motive pas car il crée un sentiment de complaisance et de relaxation. Il est nécessaire de lui ajouter une bonne dose de lucidité sur la situation, les freins et les verrous qui nous ralentissent et nous bloquent. La “pensée positive” seule nous prive des moyens de répondre aux défis et diminue sensiblement toute possibilité de les traverser le mieux possible”,
Servigne Stevens et Chapelle, Une autre fin du monde est possible.
Eco-anxiété, c’est grave docteur ?
Enfant et effondrement : on ne part pas du même point de départ
Pour autant c’est très difficile de savoir par quel bout prendre cette question de l’effondrement ! Et ce d’autant plus que nos enfants, comme nous-mêmes auparavant, sont touchés par ce que l’on appelle l’« amnésie environnementale générationnelle ». Chaque génération prend l’état du monde comme elle le connaît, autrement dit c’est l’état du monde à sa naissance qui fait foi. On entend aussi parler de « syndrome de référence changeante » : comment prendre la mesure de ce qui a été détruit quand on ne l’a pas connu ? Nos enfants naissent dans un monde où les pare-brises restent désespérément propres même après avoir traversé la France en long en large et en travers tout l’été. On a tous entendu les anciens raconter « quand j’étais petit… ». Avec parfois une pointe d’agacement. Et pourtant, ces récits d’avant font notre mémoire collective. “L’effondrement et tous ses chiffres sont des concepts froids. Mais pour eux, nos mots sont chauds, et ils entendront des histoires auxquelles ils croiront, passionnément, un peu ou pas du tout. Nous allons les aider à construire du sens. Ce qui compte, c’est la manière dont nous racontons l’histoire, les émotions, l’ancrage, notre vérité, et surtout les laisser imaginer leurs récits autour des pépites qu’ils garderont des nôtres. Il faut fournir les moyens d’inventer, en veillant à ne pas fermer toute possibilité d’avenir.” Servigne, Stevens et Chapelle, Une autre fin du monde est possible.
La fin d’un monde relié au vivant : comment stimuler la capacité des enfants à entrer en lien avec le vivant ?
Les auteurs qui tentent de décrypter les ressorts de l’effondrement en cours convergent pour beaucoup sur ce point : notre capacité à détruire la nature vient pour partie du fait que nous considérons que nous ne sommes pas la nature (merci le naturalisme, ontologie responsable de ce courant de pensée !). La solution : nous réinsérer dans cette toile du vivant comme élément à part entière. Se sentir lié au vivant et à sa diversité est le meilleur moyen de donner envie de le protéger. Car dans ce cas, détruire le vivant c’est tout simplement se vouer à la destruction. Le plus beau chemin que l’on puisse tracer pour nos enfants est donc celui qui les mène/ramène vers le vivant. Alors go pour les promenades hors du béton, go pour les soins aux animaux dans la ferme d’à côté, go pour les séances d’observation d’insectes, go pour les mains dans la terre sur le balcon et les nuits à la belle étoile…
La fin d’un monde stable : s’attacher pour mieux coopérer ?
C’est une évidence pour certains et pourtant. Dans un monde de plus en plus mouvant, de plus en plus insécure, la première des forces que l’on peut donner à un enfant c’est d’être bien dans ses sandalettes. Un enfant aimé et considéré va consacrer pleinement son énergie à son bon développement. “Si on se sent aimé et en sécurité, le cerveau se consacre à l’exploration, au jeu et à la coopération ; si on est effrayé et non désiré, il se spécialise dans la gestion des sentiments de peur et d’abandon », décode le psychiatre Bessel van der Kolk. Dans un futur où la coopération va devenir essentielle, s’assurer que ses enfants développent les bons outils dès le plus jeune âge, c’est déjà leur simplifier l’avenir. Alors oui, aimer ses enfants et leur offrir un cadre solide c’est déjà les équiper pour le monde qui vient.
« Pour qu’un enfant ait un attachement sécure (environ 50 % de la population), les parents doivent faire preuve de force (base de sécurité physique de l’enfant), de sagesse (regard d’adulte et vision du monde adaptée, réaliste et plutôt positive), de sécurité affective (représente un refuge lorsque l’enfant est en détresse), de soutien au développement (permet à l’enfant d’explorer le monde et de se construire à partir de sa singularité). Si les parents ne peuvent pas assurer cette base de sécurité pour l’enfant, des troubles de l’attachement (qui correspondent à des mécanismes de protection que l’enfant met en place pour s’en sortir) peuvent émerger. »
Servigne et Obadia, Le pouvoir du suricate.
La fin d’un monde prévisible : faire jouer les enfants pour savoir s’adapter
Le jeu apprend à coopérer. Le jeu apprend aussi à s’adapter. Pourquoi ? Parce qu’il entraîne à gérer ses peurs. « Les bébés animaux et humains jouent pour apprendre, ils se chamaillent, se réconcilient, s’associent, testent leurs limites, se créent des objectifs et ce faisant, développent leurs capacités d’adaptation dans un cadre de sécurité. Mieux, en exerçant ses capacités à avoir peur en toute sécurité, nous repoussons le seuil du bleu (ndlr : état de paralysie lié à la peur), augmentant ainsi notre fenêtre d’action et de liberté. » Accompagner nos enfants à jouer, c’est donc aussi les entraîner à dépasser les frustrations, réagir aux peurs, questionner les limites, rétablir un dialogue, mettre en place des stratégies, trouver des solutions… Bref c’est déjà leur donner des outils pour rebondir et s’adapter. Ce qui va nous être imposé très bientôt !
Le monde devient effrayant : leur apprendre à gérer leurs peurs
“Nous n’avons pas d’autre choix que de former dès à présent des alpinistes chevronnés de la frousse, pour simplement traverser ce siècle de catastrophes sans tomber dans la démence, le repli ou l’apathie. Dès lors, quelle tâche plus importante que d’apprendre à apprivoiser nos peurs ?” Gérer ses peurs, c’est tout le sujet de Le pouvoir du suricate de Servigne et Obadia. Les auteurs utilisent la métaphore du Suricate pour décrypter les différents mécanismes qui nous commandent quand une peur survient. A l’arrivée d’une peur, on entre soit dans le rouge (colère, attaque) soit dans le bleu (repli, paralysie). Ces deux états spontanés doivent rester temporaires : l’objectif étant de parvenir à re-basculer dans le vert (état d’apaisement et de sérénité). Ce qu’ils décodent ainsi c’est comment parvenir à gérer sa peur mentalement et physiquement pour la prendre pour ce qu’elle est : une information. Et continuer à vivre. “Savoir apprivoiser ses peurs offre de nombreux bienfaits : reprendre le contrôle de ses choix, retrouver la joie et le calme quand c’est possible, s’adapter avec souplesse aux nouvelles situations, savoir réagir de manière proportionnée et efficace en cas de danger. Nous gagnons tous à agrandir cette fenêtre de liberté, en créant un espace de sécurité à partir duquel nous pouvons nous remettre à agir, explorer, grandir… en connexion avec les autres et le monde.” Apprendre aux enfants à accueillir leurs peurs pour mieux les apprivoiser, c’est là un vrai beau dossier ! “Les tornades de nos cœurs et de nos têtes sont vitales, elles vont dévaster un paquet de nos congénères dans les années à venir. Gare à la pandémie de gens perdus.” prévient Laure Noualhat. Alors autant les équiper dès maintenant pour mieux les préparer à tout ce qui arrive.
Le monde devient déstabilisant : savoir compter sur soi
Dans un monde qui change et qui challenge, être bien « avec soi » va devenir plus essentiel que jamais. Apprendre aux enfants à identifier les ressources dont ils disposent, c’est aussi une compétence précieuse. La plupart des métiers de demain n’existent pas encore. Et on ne sait pas de quoi sera fait l’avenir. Dans ce contexte mouvant, bien connaître ses ressources, forces ou talents, c’est un vrai atout pour aller vers ce qui fera sens pour eux. “Pour grandir […] il faut à l’enfant des connaissances et la connaissance de soi. Il faut qu’il puisse se voir tel qu’il est, et voir l’ombre qu’il projette. Car il est capable d’affronter sa propre ombre, il peut apprendre à la contrôler et à se laisser guider par elle. Tout ceci, afin que, ayant grandi en force, ayant accepté les responsabilités sociales de l’adulte, il soit moins enclin à tout abandonner par désespoir ou à nier ce qu’il voit, quand il sera confronté au mal qui sévit en ce monde, aux injustices, aux chagrins, aux souffrances que nous devons tous endurer, et à l’ombre finale qui viendra tout clore”, explique ainsi Ursula Le Guin.
La fin d’un monde apaisé : apprendre aux enfants à se parler
Dans un monde où l’on aura plus que jamais besoin de coopération, bien savoir se parler et parler aux autres va devenir indispensable. Accueillir ses émotions, savoir les décrypter, les nommer, les partager… c’est une compétence à laquelle nous sommes encore individuellement et collectivement trop peu aguerris. “Il y a encore un immense travail à faire pour généraliser ce qu’à l’époque Günther Anders appelait déjà l’alphabétisation émotionnelle : identifier nos émotions, accepter de ressentir pleinement la vague, et en comprendre le sens.” C’est le super pouvoir de la Communication Non Violente (CNV) : équiper chacun d’un alphabet émotionnel pour faciliter la communication. A la clé : on identifie ses besoins et on trouve des solutions pour les satisfaire dans une démarche de lien à l’autre (et pas de reproches ou d’accusations). La coopération sera, on l’imagine, essentielle dans les mondes qui viennent. Alors autant équiper les enfants pour la pratiquer de façon la plus fluide possible. Popularisé par des films comme Vice versa, la sensibilisation sur le pouvoir des émotions est une tendance que l’on ne peut qu’encourager !
Le monde devient clivé : imaginer pour mieux critiquer
Dans un monde où il y a urgence à bousculer les récits dominants qui nous emmènent droit dans le tas de bouse de vache, faire grandir de petits révolutionnaires est un chouette objectif. Comme le dit Paolo Lugari : « la crise que nous traversons n’est pas celle de l’énergie, mais celle de l’imagination et de l’enthousiasme. » Alors stimulons ce muscle naturellement très actif de l’imagination chez nos enfants ! Servigne et Obadia alertent d’ailleurs : « L’école aussi peut faire des ravages. Lorsque des enfants répriment trop souvent leurs besoins essentiels (par exemple, jouer, bouger, s’entraider ou s’exprimer) en restant assis en silence toute la journée à apprendre des choses qui ne les intéressent pas, ils éduquent leur Suricate à la soumission passive. » Alors encore une fois : jouons pour muscler leur imagination et leur futur esprit critique ! « Le jeu libre, non structuré, effronté, tapageur, contemplatif, spontané, fou, attentif, turbulent est essentiel à la santé de nos enfants, mais aussi à notre capacité à réinventer le monde », dit Rob Hopkins.
Le monde devient virtuel : on les déconnecte pour mieux les reconnecter ?
Le corps médical est plutôt unanime sur le sujet : trop d’écran nuit au bon développement de l’enfant. Et on peut ajouter : trop d’écran nuit au bien-être des adolescents et au bonheur des adultes. « Sans aucune exception, tous les élèves qui passent plus de temps que la moyenne à pratiquer des activités impliquant un écran se sentent moins heureux que ceux qui passent plus de temps que la moyenne sans écran. Et de loin. En réalité, plus un enfant passe de temps devant son écran, plus il est à même d’exprimer des symptômes dépressifs», explique Cyril Dion dans Petit manuel de résistance contemporaine. « La technosphère donne naissance à des générations d’humains progressivement insensibilisés, perpétuant ce monde dissocié, et développant des symptômes traumatiques : anxiété chronique, dépression, burn-out, colère, dissonance cognitive, suicide, anxiolytiques…”, enchaînent Servigne et Obadia.
Le monde devient dur : prendre soin oui ça s’apprend !
Comment faire pour changer les codes d’une société basée sur la compétition ? En développant la culture du soin dès le plus jeune âge répondent encore Servigne et Obadia. Dans un monde où les traumas (personnels et collectifs) peuvent s’enchaîner, apprendre à prendre soin de soi et des autres est une compétence vitale. L’entraide sera le mot d’ordre de demain. Pouvoir compter sur un clan, une communauté, un collectif est l’une des façons les plus redoutables de remonter à la surface. Alors apprendre à nos enfants à prendre soin et à entrer en lien est aussi l’un des plus apprentissages les plus fertiles qui soit…
En conclusion, évidemment (et hélas !) il n’existe pas une solution magique pour prémunir nos enfants de tout ce qui se profile à l’horizon. Mais il existe déjà plein de compétences et d’outils que l’on peut glisser dans leur sac à dos pour que ces bouts de choux à qui on lit des histoires le soir, soient ceux qui les inventent demain ! Et la bonne nouvelle, c’est qu’en chemin, on risque fort de grandir avec eux.