Avant- après Evanos ou comment penser les emails de demain

Le tourisme mondial est responsable de 8 % des gaz à effet de serre dont les trois-quarts proviennent des transports*. Donc quand un acteur comme Evaneos promeut le tourisme responsable, on ne peut qu’applaudir ! Oui mais cet engagement est-il perceptible dans ses communications ? La marque contribue-t-elle à diffuser de nouveaux imaginaires ? Nous propose-t-elle autre chose que des photos de plages de sable blanc rendant irrésistible l’envie de voyager à l’autre bout du monde ? C’est la question que nous nous sommes posée avec Marion et Thomas de Badsender, agence experte en emailing et agence engagée. Nous nous sommes penchés sur leur newsletter promettant dès l’inscription “des tips pour voyager responsable”. Voici comment on l’a décortiquée et l’alternative que nous avons créée.

Pourquoi réinventer les emails ?

L’email est l’un des moyens de communication les plus utilisés par les marques. Or son impact est loin d’être neutre : les mails stockés sur les serveurs consomment beaucoup d’énergie, et donc sont fortement émetteurs de CO2, et ils incitent bien souvent à la surconsommation.

On pourrait en passer par la loi pour limiter voire interdire ces mails commerciaux trop nombreux. Nous, nous avons la conviction qu’il faut redonner ses lettres de noblesse aux mails, les rendre plus éco-responsables et les mettre au service d’un autre discours, d’autres imaginaires qui donnent à voir une société plus juste, plus durable et plus heureuse.

Concrètement :

  • On veille à l’écoconception des emails : leur poids et une durée de vie limitée pour ne pas rester stockés sur les serveurs.
  • On s’assure de leur accessibilité en permettant aux personnes déficientes visuelles d’utiliser un lecteur d’écran (donc on ne met pas de texte dans les images et on nomme les images pour qu’elles puissent être décrites).
  • On questionne l’imaginaire véhiculé par les mots et les images : est-ce que cet imaginaire respecte les limites planétaires ou est-ce qu’au contraire, il incite à des comportements incompatibles avec la transition ? Est-ce qu’il promeut la diversité (de genre, d’âge, d’origine) et l’équité sociale ? Propose-t-il des alternatives au modèle de consommation de masse ?

L’email à réinventer : pourquoi le choix d’Evaneos

Parce qu’Evaneos, en tant qu’acteur majeur du tourisme responsable, a une grande responsabilité dans la promotion d’imaginaires du voyage différents. La marque dispose d’atouts indéniables pour construire de nouveaux récits du voyage :

  • Evaneos travaille avec des agences locales pour soutenir les économies des pays visités : le voyagiste s’engage à ce que 85 % au moins du prix du voyage profite aux économies locales.
  • Il s’engage également à éviter d’alimenter le surtourisme : Evaneos a créé un index du surtourisme permettant d’identifier les destinations et les périodes de l’année à éviter. Il a ainsi retiré de son offre deux destinations, Mikonos et Santorin, pour les périodes estivales.
  • Et comme l’avion est la principale source d’émission de gaz à effet de serre, Evaneos a pris la décision de supprimer de son catalogue 2024 les “city breaks”, ces séjours de moins de cinq jours vers des destinations lointaines, le plus souvent ralliées en avion.

Quant aux nouveaux récits, la marque est consciente de leur impact : Evaneos sait que “voir des publicités avec des cocotiers peut donner envie de voyager loin” et la marque reconnaît donc qu’ils ont “un rôle important à jouer pour changer les imaginaires du voyage”**. Si les nouveaux récits sont bien présents dans leurs campagnes d’affichage, leurs emails commerciaux, en revanche, ne sont pas encore alignés avec leurs engagements.



Notre analyse de la newsletter Evaneos : analyse des messages

Au moment de l’inscription à cette newsletter, Evaneos nous promet des destinations insolites, des adresses cachées et des tips responsables, le tout pour “faire évoluer notre vision du voyage”. Si Evaneos parle bien de destinations insolites, le reste de la promesse n’est malheureusement pas tenue :

  • Ni dans le titre, ni dans le texte du bloc principal, il n’est mentionné les valeurs du tourisme durable ou responsable (ni même la mention du positionnement d’Evaneos sur le voyager vrai).
  • Pas de trace non plus des tips pour voyager responsable comme la promesse le mentionnait au moment de l’inscription.
  • Les destinations insolites sont le cœur du message de la newsletter mais elles sont banalisées par :
    • l’accroche “Alors, on part où ?”
    • l’énumération des destinations (le fait qu’elles soient toutes mises sur le même plan)
    • le CTA “plus d’inspiration”

Notre analyse de la newsletter Evaneos : analyse de l’imaginaire véhiculé

Ce type d’email tend à banaliser le voyage et à en faire un bien de consommation courant. Or le voyage comme “bien de consommation” est incompatible avec les limites planétaires :

  • L’accroche “Alors, on part où ?” crée un sentiment d’urgence et banalise l’organisation du voyage. L’achat du voyage est traité comme n’importe quel autre achat alors qu’organiser un voyage, c’est un grand projet qui prend du temps !
  • Dans le bloc principal, le fait d’énumérer, de passer rapidement d’une destination à l’autre, induit que l’on peut aller partout, que toutes ces destinations sont à notre portée, il n’y a plus qu’à choisir… C’est une vision du voyage qui incite à la surconsommation.
  • Les selfies utilisés rappellent ceux des influenceurs qui postent sur Instagram des photos à l’autre bout du monde et alimentent ainsi le surtourisme (contre lequel Evaneos s’engage).

Cette newsletter recourt à l’imaginaire (trop courant) de l’exotisme et contribue à alimenter la norme sociale selon laquelle “voyager, s’évader, c’est forcément aller loin” :

  • Le texte du bloc principal renforce l’idée qu’on ne vit des expériences hors du commun qu’en partant loin : toutes les destinations mentionnées sont lointaines.
  • Le carrousel inclut certains visuels qui entretiennent le stéréotype de la mer turquoise et de la plage de sable blanc.

De plus, cet email cultive :

  • Le culte de la vitesse : dans l’accroche incitant à la prise de décision rapide.
  • L’idée du “à faire absolument” : en énumérant les expériences sensorielles (visuelles, gustatives…) des contrées à visiter.
  • L’imaginaire du “bon voyageur” qui s’oppose au “mauvais touriste” : Evaneos promeut ainsi une vision élitiste du voyage.

Enfin, alors qu’Evaneos s’adresse plutôt à une audience sensible au tourisme responsable, il ne questionne ni le rapport à l’avion ni la nécessité du voyage. Le risque est d’entretenir l’illusion que l’on peut continuer à voyager sans se poser de questions et donc de déculpabiliser ces touristes pourtant sensibilisés… Bref, si la marque souhaite promouvoir une autre vision du voyage et s’aligner avec ses engagements, mieux vaut qu’elle modifie son approche et se tourne vers de nouveaux récits.



Notre analyse de la newsletter Evaneos : analyse du design

  • Le préheader est visible à l’ouverture du message. On pourrait le rendre invisible à l’ouverture pour gagner une ligne en hauteur.
  • Le lien de désinscription est présent dès le header de l’email, ce qui est une excellente pratique. Mais le lien est non explicite (ce qui ne respecte pas les bonnes pratiques d’accessibilité) : il aurait fallu mettre le lien derrière “Vous désinscrire”.
  • Placer “Mon compte” à gauche est surprenant. Les informations de ce type se placent souvent à droite du logo et non à gauche.
  • Le gif animé du bloc principal fait plus de 4Mo. Alors que nous recommandons de limiter le poids d’un gif entre 1 et 2 Mo pour garantir un chargement rapide.
  • Le texte est centré, il devrait être ferré à gauche pour une meilleure lisibilité (pour respecter les bonnes pratiques d’accessibilité) et une volonté de rendu plus premium.
  • Il manque des espaces insécables, on a des “?” qui passent à la ligne en version mobile.
  • Présence d’un carrousel : le support d’un carrousel en emailing n’est assuré que dans 54% des cas. Bien que la version de repli soit acceptable, le carrousel pose plusieurs problèmes :
    • Accessibilité : il détourne des balises HTML, rendant la lecture difficile pour les personnes malvoyantes utilisant des lecteurs d’écran.
    • Éco-conception : il nécessite beaucoup de lignes de code supplémentaires pour la version de secours.
    • Expérience mobile : on perd systématiquement un des 3 contenus sur mobile, même si le swipe est bien perçu.
  • Onglets “Où partir”, “Le concept”, “Destinations” : ces onglets ne sont pas clairs sur la promesse et potentiellement redondants entre “Où partir” et “Destinations”. De plus, au clic sur “Où partir”, on atterrit sur une page 404 (non trouvée).
  • Footer :
    • La rédaction ne respecte pas les bonnes pratiques d’accessibilité : présence de liens non explicites comme « cette page » et « cliquez ici ».
    • Mention appréciable des crédits photos.




Comment réinventer cet email ?

Tout d’abord, il faut choisir un angle qui aligne la communication sur les engagements d’Evaneos et qui répond à la promesse initiale de la newsletter. Et cela pourrait être au choix :

  • Angle de la saisonnalité version tourisme responsable : on parle des destinations du moment mais en se basant sur l’index du surtourisme, sur le soutien à l’économie locale et sur l’expérience du voyageur. Ex. Où partir cet hiver ? Derrière cette question, on propose des destinations peu visitées qui permettent aux populations locales de vivre toute l’année
  • Angle du mode de transport : on parle de voyages à pied, à vélo et en train donc de voyage bas carbone. L’objectif est de rendre désirable le fait de “vivre le voyage” : le voyage commence dès franchi le pas de sa porte et les voyages à pied, à vélo et en train permettent une découverte plus authentique.
  • Angle du slow travel : on promeut des circuits où l’on prend le temps de l’immersion dans la culture locale, et l’où on accepte que le transport fasse partie du voyage avec des exemples de destinations accessibles en train et de circuits à vélo ou à pied.
  • Angle de la durée : on propose des destinations en fonction du nombre de : J’ai 5 jours (voyage proche) / J’ai 2 semaines / J’ai 1 mois. Cet angle plus pédagogique permet d’éditorialiser l’offre et de proposer des destinations adaptées à la durée.
  • Angle du voyage d’une vie : on présente des destinations lointaines mais sous l’angle du voyage d’une vie “Et vous, vous l’imaginez où votre voyage d’une vie” / “Et vous, quel est votre rêve de voyage”

Notre parti pris pour cet avant-après Evaneos : le slow travel

Nous avons fait le choix du 3e angle, celui du slow travel. Arrêter de courir et passer en mode “ralentir” est un bon insight (car les fins d’année sont souvent denses). Cela peut susciter la curiosité et rendre ce type de voyage désirable.

Cette tendance va aussi à l’encontre de la “rentabilisation du voyage” : nombre d’activités par rapport au temps. Avec cet angle, on peut proposer une autre vision du voyage qui, plutôt que de remplir des journées,  permet de vivre une expérience authentique, s’évader et découvrir.

Pour répondre à cet angle, tout est une question de représentations : le langage utilisé, les tournures de phrase mais aussi les visuels et surtout les destinations mises en avant. Il faut choisir des destinations et des circuits qui correspondent à la promesse de “slow travel” : des voyages en train, à pied, à vélo ou des circuits d’immersion en pleine nature. Il s’agit donc d’un angle qui permet d’éditorialiser l’offre d’Evaneos.

Deux rubriques peuvent s’ajouter à la mise en avant de l’offre :

  • les tips pour voyager responsable
  • les raisons de choisir Evaneos

Après newsletter Evaneos : les tips responsables

Les tips responsables peuvent être présentés sous la forme de check-list ou de bonnes questions à se poser avant de planifier son voyage. Nous choisissons le mode check-list pour “alléger” le discours et permettre aux lecteurs de se questionner sans leur asséner un discours culpabilisant. Les tips responsables sont un moyen de questionner :

  • Le mode de transport utilisé : l’avion est 20 à 50x plus émetteur de CO2 que le train. Et c’est un mode de transport très élitiste : 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % des émissions de CO2 du transport aérien.
  • La destination : d’après l’Organisation Mondiale du Tourisme, 95 % des touristes se massent sur 5 % des terres émergées et 10 destinations à elles seules attirent la moitié des touristes ! Ce qui dégrade l’expérience du voyageur et a un impact négatif sur les écosystèmes et les populations locales. L’une des solutions peut être de mettre en avant des destinations peu connues mais qui créent des expériences fabuleuses.
  • La date de départ : Evaneos indique pour chacune des destinations quels mois de l’année sont plus propices au voyage. L’objectif est d’éviter le sur-tourisme (que tout le monde parte au même moment) mais aussi de vivre une belle expérience.
  • Le rapport durée des vacances/distance parcourue : un seul vol long courrier fait exploser le budget carbone annuel cible (2 tonnes/par personne/par an). L’une des solutions est donc d’inciter à voyager plus longtemps si la destination est lointaine (donc éviter de partir en long courrier pour passer 1 semaine sur une plage). Montrer que voyager est un projet qui se prépare et non un bien de consommation que l’on achète sur un coup de tête. Il faut arriver à créer d’autres réflexes : prendre moins l’avion mais mieux, prendre du plaisir à préparer son voyage (le sur-mesure l’incite) et, pour les destinations proches, prendre le train en demandant à son entreprise de mettre en place le TTR (temps de trajet responsable), qui offre des jours en plus pour voyager en train plutôt qu’en avion.
  • L’impact local : se questionner sur les emplois locaux, l’impact sur la biodiversité (ex. ne pas faire visiter des lieux dans lesquels on exploite des animaux et qui ont été créés juste pour le tourisme) et les populations (les principaux émetteurs sont les populations les plus aisées, tandis que les premières victimes des conséquences du changement climatique sont et resteront des personnes qui ne seront pour la plupart jamais montées dans un avion)
  • La compensation : expliquer pourquoi la compensation carbone n’est pas une solution et ne doit pas être un moyen de s’exonérer de toutes ces questions.



Après newsletter Evaneos : les raisons de choisir la marque

Les raisons de choisir Evaneos : Evaneos a des singularités qui méritent d’être bien plus mises en avant :

  • Les “local heroes” : Evaneos met directement en relation avec des agences locales sélectionnées selon des critères spécifiques : expertise de la destination, professionnalisme, réactivité, francophonie, prix, engagement pour un tourisme plus responsable, flexibilité, etc.
  • Le 100 % sur-mesure : tout est modulable et co-construit avec l’agence locale, les étapes, l’hébergement, les activités.
  • L’engagement à voyager mieux en préservant les écosystèmes locaux et en soutenant les économies locales avec un prix juste pour les voyageurs et pour toutes les personnes qui contribuent à la réussite du voyage.
  • La garantie Evaneos de la préparation jusqu’au retour : plus de 600 000 personnes ont voyagé avec les partenaires Evaneos depuis 2009. Avec une note de 4,8/5 en moyenne sur **Trustpilot.**



Le brief emailing

  • Champ lexical de la lenteur, des sensations : champ lexical très émotionnel, de la reconnexion aux autres, à soi et à la nature. Pour ne pas tomber dans un registre trop “bien-être”, on peut recourir à des anglicismes comme le fait déjà Evaneos dans son magazine en ligne : leurs agents locaux sont des “local heroes”, leurs conseils pratiques sont des “conseils insiders”…
  • Ton : un tone of voice connivent s’inspirant du langage utilisé sur Instagram

Indications de Design

  • Charte graphique email : s’inspirer des codes visuels du site Evaneos + charte graphique
  • Varier les représentations pour plus d’inclusivité et d’autres imaginaires :
    • bannir les selfies
    • varier les paysages et éviter de montrer des plages de sable blanc
    • montrer plutôt des marcheurs, des cyclistes et des rencontres avec des habitants locaux
    • mettre en avant les modes de transport doux que sont le train et le vélo
  • Éco-conception : respecter les pratiques d’éco-conception dans l’email.
  • Accessibilité : s’assurer que l’email est conforme aux bonnes pratiques en matière d’accessibilité. Veiller à la bonne lisibilité de l’email pour les personnes porteuses d’un handicap.
  • Mobile : veiller à la bonne lisibilité sur mobile.
  • Darkmode : veiller à la bonne lisibilité en dark mode.
  • Dissociation des visuels et contenus textuels : s’assurer que tous les textes soient conçus en HTML avec une mise en forme CSS pour un affichage immédiat, sans téléchargement nécessaire des images.
  • Mise en forme graphique avec du CSS : privilégier autant que possible la mise en forme graphique des éléments et de l’email grâce au langage CSS.

Conclusion

Pas facile de promouvoir de nouveaux imaginaires quand le cœur du business est aussi dépendant de l’avion. Mais c’est possible ! Faire un petit pas de côté, sortir de l’imaginaire des plages du bout du monde, rendre des destinations plus proches désirables, suggérer des comportements plus responsables sans culpabiliser, c’est déjà aller dans le sens de l’éveil des consciences.


D’autres avant-après

L’avant-après mail Decathlon

*Source : étude publiée en mai 2018 dans la revue scientifique Nature Climate Change et menée par des chercheurs des universités de Sydney, du Queensland et de Cheng Kung

**Source : Novethic, 19 novembre 2023

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