Nouveaux récits et voyage : quels contre-récits proposer ?

Difficile pour les Occidentaux que nous sommes d’imaginer notre vie sans voyage. Pourtant, le voyage touristique, tel qu’il est pratiqué, est peu compatible avec la transition : déplacements en avion, pression sur les écosystèmes, exploitation des populations locales… Comment sortir de l’ornière d’un surtourisme destructeur et renouer avec les valeurs de découverte et d’émancipation du voyage ? Sans doute, par la bascule des imaginaires, en proposant de nouveaux récits sur le voyage et en réinventant les pratiques…

Les impacts du surtourisme : l’urgence de nouveaux récits du voyage

Le transport aérien, souvent nécessaire au voyage lointain, pèse lourd dans l’impact écologique du tourisme : non seulement en termes d’émission de CO2 mais aussi en raison de l’azote et des traînées de condensation persistantes qui ont un effet sur le réchauffement.

Selon l’ONG Greenpeace, pour maintenir le réchauffement planétaire sous la barre des 1,5°C, un Français devrait faire un vol long-courrier tous les 10 ans, au lieu des 5 ans d’aujourd’hui. Soit diviser par deux ses déplacements en avion. Mais en réalité, cette moyenne cache de fortes disparités : une majorité de Français ne prend jamais l’avion, tandis qu’une minorité le prend plusieurs fois par an.

Le transport aérien n’est pas la seule ombre au tableau du tourisme. D’après l’Organisation mondiale du tourisme, 95 % des touristes mondiaux visitent moins de 5 % des terres émergées. Ces 5 % arrivent donc vite à saturation : c’est le cas, bien connu, de Venise qui a dû taxer l’entrée et interdire l’accès aux bateaux de croisière qui fragilisent les fondations de la cité, mais aussi de Hallstatt, un village autrichien d’à peine 750 habitants qui, parce qu’il a inspiré  “La Reine des neiges”, doit accueillir chaque année 1,4 millions de visiteurs…

Déconstruire les imaginaires du voyage dont on hérite

Ces dérives du surtourisme ont pour origine le fait que chacun veut sa part de rêve. Mais comment se fait-il que tout le monde rêve d’îles paradisiaques et de plages de sable blanc ? En fait, nos imaginaires autour du voyage sont un héritage, en particulier de notre passé colonial et des images rapportées par les explorateurs et les scientifiques au XIXe siècle.

Les origines de nos imaginaires sur le voyage

Selon l’anthropologue Saskia Cousin, pour décoloniser le tourisme, il faut questionner cet imaginaire lié à notre histoire coloniale, déconstruire les images d’Epinal de plages de rêve sous les tropiques et de nature intacte dans lesquelles nous baignons depuis le XIXe siècle. Selon elle, il faut aller jusqu’à interroger notre langage, par exemple l’expression courante “J’ai fait… la Thaïlande, le Japon, la Tanzanie” : au-delà du fait d’être consumériste, cette expression est directement inspirée du vocabulaire colonial conquérant.

Ensuite, il nous faut questionner les pratiques touristiques elles-mêmes : 88 % des dépenses d’un touriste venant des pays du Nord reviennent à l’industrie de ces mêmes pays. On est loin du tourisme comme facteur de développement… Il faut donc explorer d’autres voies : se poser la question du mode de transport mais aussi s’interroger sur la destination et l’impact que le séjour a sur la biodiversité et la population locale.


Le slow tourisme : l’alternative au culte de la vitesse

Se dire que le voyage commence dès franchi le pas de sa porte c’est déjà proposer de nouveaux récits : plutôt que “s’expédier” de son domicile à son lieu de vacances, on peut envisager l’itinérance et le voyage un peu plus lent. Ce “slow tourisme” peut prendre des formes diverses : prendre le train de nuit plutôt que l’avion, faire un voyage itinérant pour visiter plusieurs régions ou pays, ou encore pratiquer le cyclo-tourisme en parcourant quelques-uns des 26 000 km de vélo-routes en France ou 45 000 km européens.

Benjamin Martinie, réalisateur et YouTubeur passionné de voyages, a longtemps pris l’avion. Jusqu’à 2019, année où il a pris conscience que « le marketing et le développement de l’aérien nous fait croire que les vacances commencent au moment où l’on arrive à destination. C’est vraiment dommage, car on peut prendre du plaisir dès que l’on passe le pas de sa porte, où l’on s’installe dans le train. Le plaisir peut être là bien avant d’arriver à destination ». Depuis Benjamin, avec sa chaîne YouTube et sa plateforme Hourrail!, a pour ambition de rendre désirable le voyage bas carbone.

Des labels pour choisir un hébergement éco-responsable

L’hébergement a aussi son importance et les acteurs du tourisme l’ont bien compris : depuis quelques décennies, se sont développés des hôtels éco-responsables, des gîtes écologiques, des écolodges… Pour faire le tri, des labels, comme Green Globe ou l’écolabel européen, distinguent des lieux qui ont une démarche environnementale volontariste. Pour se repérer, le site de l’agence nationale de tourisme répertorie les labels en vigueur : https://www.france.fr/fr/article/labels-durable/

La destination : là où le bât blesse…

Le choix de la destination est essentiel pour s’assurer d’un impact le plus léger possible. Or certaines destinations lointaines, pourtant reconnues comme étant des paradis écologiques, ont une face cachée. C’est le cas de l’île de de Gili Trawangan près de Bali, où les hôtels promettent des séjours écolo : c’est vrai, on se déplace à vélo, les voitures sont interdites et l’environnement semble préservé… Mais au centre de l’île, s’érige une montagne de déchets liée à la pression touristique.

Même au Costa Rica, considéré comme un exemple de gestion touristique écologique, il y a un envers du décor, avec une utilisation importante de pesticides dans la production agricole et un régime d’exploitation de type extractiviste. Certains parcs naturels y chassent les populations locales pour coller à la carte postale attendue par les touristes.

Plus proches de nous, les calanques de Marseille ou les falaises d’Etretat s’érodent du fait de l’afflux des marcheurs. Ainsi, de plus en plus de parcs naturels mettent en place des jauges pour limiter les flux de visiteurs. Via sa campagne “réserver, c’est préserver”, le parc naturel des calanques sensibilise les Français à l’érosion et à l’effet du piétinement des visiteurs sur l’écosystème.

Le tourisme local : inventer les nouveaux récits du dépaysement

Pourquoi alors ne pas réhabiliter le tourisme sur le pas de sa porte, la redécouverte de son environnement proche ? Même en région parisienne, des circuits touristiques se mettent en place. Des visites guidées comme le “Migrantour” battent en brèche l’image de carte postale de Paris : le programme Les Hôtes urbains propose des balades de deux heures avec des guides-habitants qui racontent leurs quartiers et leurs histoires. Une manière de découvrir la grande histoire de l’exil et des migrations à travers leurs vécus.

Et la pandémie Covid 19 a été l’occasion pour beaucoup de redécouvrir des régions françaises : par la randonnée ou en allant à la rencontre des habitants via l’agrotourisme.

Et Instagram dans tout ça : un allié ou un ennemi ?

Oui, Instagram fait partie du problème : de nombreuses destinations subissent le surtourisme en raison de photos qui ont “fait le buzz” sur la plateforme. Certains lieux, comme la Presqu’île de Crozon, sont même obligés de faire du “démarketing” : ils choisissent de renoncer à leur notoriété afin de réduire les flux et favoriser un développement touristique plus durable.

Mais Instagram peut aussi être un formidable promoteur de nouveaux récits sur le voyage. Nombreux sont les influenceurs qui montrent le chemin : Benjamin Martinie, avec son compte Instagram @globetolter et son média Hourrail !, rend désirable le voyage bas carbone ; Sarah Pignaud de @sarah_hiking montre à quel point le voyage à pied peut être une aventure ; Guillaume Payen de @guillaumepayen donne envie de découvrir des sites naturels moins connus comme l’Aubrac ; Roxane et Yoann de @roxandyo, qui se définissent comme slow travelers, nous embarquent à vélo le long du canal du midi ou en train à la découverte de la Norvège. De quoi nous donner envie de réinventer nos voyages

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