La RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) des entreprises et les nouveaux récits ont des points communs mais aussi des différences assez fondamentales. Comme les nouveaux récits sont des concepts assez récents, on a vite fait de faire l’amalgame. Ici, on fait le point.
Nouveaux récits et RSE : les raisons de l’amalgame
La RSE a connu des bonds en avant ces dernières années. Inspirée par la généralisation du concept de développement durable, qui précise que le développement économique doit s’accompagner d’une prise en compte des contraintes environnementales et sociales, la RSE et ses process ont envahi les entreprises. En France, selon l’INSEE, plus de la moitié des entreprises de plus de 50 salariés déclarent s’impliquer dans la RSE.
Tout un éventail législatif encourage ou contraint d’ailleurs les entreprises à s’y mettre :
- Depuis 2017, les entreprises françaises de plus de 5 000 salariés en doivent mettre en œuvre un plan de vigilance. L’objectif : identifier et prévenir les risques sociaux et environnementaux liés à leurs activités, couvrant l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement.
- La loi Grenelle II oblige les entreprises cotées en Bourse et les sociétés anonymes de plus de 500 salariés à publier un rapport annuel sur leur performance environnementale et sociale.
- Des indices de performance environnementale ou de traçabilité sont également de plus en plus fréquents. Ils obligent les entreprises à mesurer et réduire leur impact. C’est vrai sur l’électronique, sur l’alimentaire, sur la cosmétique…
Bref, la RSE est entrée dans les mœurs. Tellement qu’on a aussi vu apparaître le concept de greenwashing, cette pratique de communication trompeuse autour de l’engagement écologique.
Et puis récemment, quand on parle de communication engagée, on mentionne de plus en plus les nouveaux récits. Ils font partie des 3 piliers de la communication responsable selon l’ADEME, aux côtés de l’éco-conception des supports et de la lutte contre le greenwashing.
Alors de quoi parle-t-on ? Les nouveaux récits sont des histoires qui nous parlent d’un avenir désirable, qui serait plus durable, plus juste, plus heureux. Ils nous aident à nous projeter et à faire évoluer les normes sociales pour passer d’un modèle consumériste à un modèle plus sobre et porteur de sens. Concrètement, il peut s’agir de films, de romans, de publicités, de discours… Nous nous intéressons ici particulièrement aux nouveaux récits produits par les entreprises et les institutions.
On pourrait se dire que RSE et nouveaux récits recoupent les mêmes champs : l’écologie, le social et le bien-être/le développement économique. On est clairement du côté de l’engagement. Mais derrière ces apparentes similitudes se cachent des différences fondamentales.
Bien-être = développement économique ?
Le développement durable et son corollaire la RSE s’appuient sur le développement économique comme une évidence. Le principe est simple : on cherche à concilier développement économique et contraintes environnementales et sociales.
Le rapport Meadows disait pourtant déjà en 1972 que la croissance avait des limites inévitables. Les limites planétaires nous montrent avec une effroyable précision que le développement économique effréné conduit tout droit à la fin de l’habitabilité de la Terre, pour l’espèce humaine et des millions d’autres espèces avec nous.
Le développement économique infini n’est tout simplement pas possible dans un monde fini.
C’est là que les nouveaux récits deviennent notre planche de salut. Car en matière de nouveaux récits, on cherche à inventer un monde qui fait envie ET qui respecte les limites planétaires. Le développement économique n’est pas dans les données de départ. L’idée, c’est plutôt de rendre désirable un monde qui réponde aux besoins fondamentaux des humains (la santé, la beauté, les relations…) mais en prenant en compte aussi tout l’écosystème. Comme dans la célèbre formule : plus de liens, moins de biens. Comment rendre désirable un monde avec moins de déplacements, moins de vêtements, moins d’électronique… mais plus de temps, plus de beauté, plus de relations qui comptent ? On est bien loin de l’objectif de développement économique. On cherche le bien-être, pas le développement économique. Et cela passe nécessairement par une nouvelle sobriété et un retour à l’essentiel.
Cela questionne bien sûr les indicateurs de la RSE, qu’il nous faudrait revoir pour avoir la bonne boussole. Mais ce n’est pas notre sujet du jour…
Tableaux Excel vs. Histoires
L’autre différence fondamentale tient à la forme que prennent la RSE et les nouveaux récits.
La RSE est une question comptable. Elle se mesure, se chiffre. On en fait des bilans et des rapports, avec des indicateurs dans les annexes. On peut dans le meilleur des cas se donner des objectifs et une vision mais ils seront chiffrés. Tout se prouve pour démontrer des progrès, année après année. On est clairement dans la partie la plus rationnelle du cerveau. Des faits, des actes, des chiffres.
Et même quand on fait de la communication autour de la RSE, on reste dans un cadre qui nous évite l’écueil du greenwashing. Cette communication RSE doit :
- Sur le fond : être VRAIE (étayée par des preuves vérifiables), PERTINENTE (enjeu majeur) et PRÉCISE (non globalisante)
- Dans la forme : être CLAIRE (simple, compréhensible) et SANS EXAGÉRATION (dans le texte comme dans l’environnement visuel et sonore)
C’est donc une communication très informative et très premier degré.
A l’inverse, les nouveaux récits sont des histoires. Elles comprennent des personnages, des lieux, des atmosphères. On y raconte à quoi pourrait ressembler la vie dans un futur plus ou moins proche et comme ce serait bien… On n’hésite pas à inventer, à suggérer, à convoquer des imaginaires inédits. Cette fois, pas de doute, on s’adresse à nos émotions et comme dit Valérie Martin de l’ADEME « il faut toucher les cœurs ». Dans l’entreprise, les nouveaux récits sont donc l’affaire des créatifs, des communicants et idéalement du marketing.
L’important c’est de toucher les cœurs.
Valérie Martin
Nouveaux récits et RSE : l’impossible convergence ?
Aujourd’hui, on voit bien que les objectifs, les moyens d’action et les personnes concernées sont très différents dans les deux cas. RSE et nouveaux récits servent tous deux l’engagement de l’entreprise mais ils peuvent très bien avancer chacun de leur côté sans jamais se rencontrer…
Et c’est bien là le problème. Car chaque entreprise va devoir se poser cette question très sérieusement de son modèle d’affaires dans un monde fini (c’est d’ailleurs l’un des objectifs de la Convention des Entreprises pour le Climat). Comment le repenser pour respecter les limites planétaires ? Quelle raison d’être pour l’entreprise qui veut œuvrer pour un monde plus durable, plus juste et plus heureux, sans nécessairement penser au développement économique ?
Ce jour-là, RSE et nouveaux récits œuvreront dans la même direction. Une cohérence qui sera particulièrement appréciée par les clients et par les collaborateurs, à n’en pas douter.
Ce jour-là, aussi, on considèrera peut-être avec le même respect le rationnel et l’émotionnel, la tête et le cœur et le monde n’en sera que plus beau, mais c’est une autre histoire…