Nouveaux récits : quel rôle pour les marques ?

Les marques à la pointe de la transition écologique ? Y aurait-il contradiction dans les termes ? Au risque de vous surprendre, non. Les marques sont bel et bien un acteur fondamental de la construction des nouveaux récits. Quel est leur rôle et surtout pourquoi devraient-elles se lancer ? On fait le tour de la question. Les marques prisonnières des anciens récits ? 

Consommation, marketing et nouveaux récits

Quand on parle de nouveaux récits, on évoque assez vite la nécessité de changer les anciens récits qui nous mènent dans le mur : la surconsommation, le « toujours plus », la croissance et parfois le capitalisme tout simplement… Proposer des alternatives à ces imaginaires, c’est l’objectif des nouveaux récits, pour que chaque individu puisse plus facilement se projeter (et adopter) des comportements plus durables et plus justes. La culture dans son ensemble commence à s’emparer du sujet : films, livres, expos questionnent notre rapport à l’avenir, notre production de déchets, notre individualisme. Mais les marques ? Le propos du marketing n’est-il pas justement d’entretenir la consommation frénétique, de créer de faux-besoins, d’entretenir la croissance ? 

Quel avenir pour les marques dans un monde de polycrises ?

Dans un monde de croissance infinie, les marques ont tout intérêt à devenir de plus en plus grosses, augmenter toujours plus leur chiffre d’affaires et leurs parts de marché. C’est d’ailleurs l’imaginaire qui sous-tend encore l’entrepreneuriat. Les objectifs donnés aux équipes de vente sont toujours des objectifs à la hausse. Hier et aujourd’hui, la réussite se mesure tout simplement par le taux de croissance. 

Mais nous ne sommes pas dans un monde de croissance infinie. Nous ne l’avons jamais été même si jusqu’au XIXe siècle l’illusion était possible tant les ressources étaient abondantes par rapport aux prélèvements. Depuis le rapport Meadows en 1972, justement titré Des limites à la croissance, on sait que les ressources en matières premières et en énergies sont limitées. Pour la plupart d’entre elles, le pic, ce moment où la production est maximale, est en cours ou déjà passé (1). On mesure aussi combien les conséquences de cette croissance continue sont néfastes : réchauffement climatique, montée des eaux, pollution (qui cause 9 millions de mort par an selon une étude de The Lancet, 2022), 6e extinction de masse en termes de biodiversité… 

Les conséquences commencent même à se voir sur les marchés économiques. La consommation s’érode (baisse de 10 % entre décembre 2021 et juin 2023 et pas de reprise nette depuis malgré un tassement de l’inflation (2)). Des marques installées mettent la clé sous la porte, particulièrement dans le textile (3). Et les réglementations écologiques se durcissent pour assurer l’habitabilité de la Terre, créant de nouvelles contraintes pour les entreprises. 


Les nouveaux récits : une stratégie pour les marques dans un monde en crise ?

A partir de là, pour les marques, plusieurs stratégies sont possibles. Seulement 2 en fait : 

  • Continuer sur le même modèle tant que c’est possible jusqu’au bout, amasser un maximum de profit, comme si de rien n’était. C’est le scenario du business as usual. C’est aussi celui du déni. Beaucoup d’entreprises sont encore dans ce scénario, espérant être les seules à passer entre les mailles du filet (et aussi parfois parce qu’elles ne voient pas comment faire autrement). 
  • Prendre leurs responsabilités et essayer d’inventer autre chose et de se transformer. Sans savoir réellement quel est le prochain modèle… C’est là que les nouveaux récits sont précieux. 


Les nouveaux récits comme cadre de transformation pour les marques

Bien sûr, la majorité des entreprises, poussées par la réglementation, les attentes des consommateurs et parfois par une sincère envie de participer au changement, ont entamé leur transition écologique : tri des déchets, traçabilité des matières premières, audits sociaux des fournisseurs, optimisation des transports, développement d’une offre locale et/ou labellisée… Tout ce qu’on trouve dans un rapport RSE. C’est évidemment une bonne chose. On améliore l’existant. Mais on ne change pas le modèle. 

Inventer un autre modèle d’entreprise qui sert un monde plus, juste, plus durable et plus heureux, ça mérite de faire un pas de côté, de penser autrement. Les nouveaux récits sont là pour ça : 

  • Proposer d’autres manières d’entreprendre : entreprises libérées, SCOP, régénératives… C’est le récit de l’entreprise en elle-même, celui qu’on raconte le plus souvent en communication institutionnelle.
  • Encourager d’autres manières de vivre, de s’alimenter, de s’habiller, d’habiter, de se déplacer… et donc changer chaque secteur de consommation. C’est le récit de société dans lesquels s’inscrit cette fois la communication commerciale.  

Les nouveaux récits aident à penser une transformation plus profonde que la simple amélioration de l’existant (ce qu’on appelle parfois le développement durable et dont on sait aujourd’hui qu’il ne suffira pas). 

Ce dont nous avons besoin pour les tempêtes à venir n’est donc pas la certitude que tout ira mieux demain, mais le courage d’ouvrir les possibles et de nous mettre en mouvement.” Une autre fin du monde est possible, Servigne, Gauthier, Chapelle


Pourquoi les marques sont des acteurs clés de la construction des nouveaux récits ? 

Le pouvoir d’influence des marques est colossal. Certaines inventent des produits ou des services qui changent nos manières de vivre. Pensons au smartphone, à Netflix, aux plateformes de livraison de repas mais aussi à Vinted ou au Bon coin… Leur impact sur nos vies est énorme. 

Et puis il y a le pouvoir du marketing qui influence aussi nos manières de vivre par les représentations qu’il utilise et contribue à alimenter. La publicité et les récits véhiculés par les marques façonnent nos normes sociales et nos comportements. C’est vrai pour les tendances de la mode ou de la déco, c’est vrai pour « les vacances qui font rêver » (avec plage, soleil et au bout du monde), c’est vrai jusque dans nos manières de percevoir nos corps (alors que la taille médiane en France est le 42, on voit encore essentiellement des mannequins minces, jeunes, blancs sur toutes les photos de marques de vêtements). 


Réorienter la puissance de la publicité ?

Aujourd’hui, la publicité représente une puissance de feu de 17,317 milliards (chiffres 2023 (4)). C’est sans compter les ressources allouées à la communication et au marketing via les newsletters, les réseaux sociaux, les catalogues… Imaginons si une bonne partie de cette puissance se réoriente vers des récits plus justes, plus durables et plus heureux ? Imaginons que ces récits puissent rendre cool le recyclage, la seconde main, le minimalisme, la vie en tiny house, le dressing capsule, l’alimentation végétale ? 

Le pouvoir de renversement du récit permet à des millions de personnes de se lancer plus facilement dans ces modes de vie et d’instaurer une nouvelle norme sociale. 


« Chaque heure perdue ou volée à nous débattre dans les méandres de nos écrans, chaque journée passée à augmenter la productivité d’une entreprise dont l’activité n’a rien à voir avec le genre de monde que nous voulons construire, chaque achat que nous faisons, chaque repas que nous préparons, chacun de nos déplacements, chaque moment passé avec d’autres, chacun de nos choix sont autant d’opportunités que nous pouvons saisir. Du temps que nous pouvons regagner sur notre vie et utiliser pour construire une autre réalité. La somme de ces choix établit notre propre récit, celui que nous proposons chaque jour aux personnes que nous croisons, que nous connaissons, qui partagent nos journées de travail, nos repas, nos soirées, notre maison, notre lit… » Petit manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion


Pourquoi les marques auraient-elles envie de se lancer dans les nouveaux récits ? 

La question cruciale, c’est de savoir pourquoi les marques, dont l’objectif est encore souvent la croissance, iraient dépenser de l’argent pour promouvoir des modes de vie plus sobres et donc potentiellement moins lucratifs ? N’est-ce pas tout simplement se tirer une balle dans le pied ? 

A notre sens, il y a 3 bonnes raisons de s’y mettre : 

  1. Elles n’ont pas le choix 😊. On l’a vu, le monde de la croissance facile, c’est fini. Donc mieux vaut apprendre à gérer une entreprise dans un monde de polycrises plutôt que de faire comme si de rien n’était jusqu’à se prendre un mur. Nous faisons le pari que les consommateurs seront fidèles envers les marques qui les aideront à faire ce chemin de sobriété plutôt que de continuer à faire miroiter une surconsommation de plus en plus inaccessible et de plus en plus notoirement nuisible. 
  2. Elles vont développer des compétences nécessaires à leur survie. Investir le champ des nouveaux récits, c’est cultiver des hypothèses positives autour de l’avenir et investir différents scénarios possibles. Cela permet d’activer des compétences-clés de détection des signaux faibles, de prototypage, de test and learn… bref, un fonctionnement agile précieux quand on navigue en des temps incertains. 
  3. Elles vont enfin donner de la chair à leur engagement. Aujourd’hui, la RSE, la raison d’être, les entreprises à mission… c’est super mais ça n’atteint pas toujours le consommateur et ça reste souvent dans un rapport RSE. Alors que quand on se lance dans des récits, on parle à l’émotion de chacun ET on s’engage pour un monde meilleur. On donne enfin du corps et du cœur à ce qui fait l’engagement. Et, évidemment, ça lui donne plus d’élan. 

Quand nous sommes conscients d’une urgence et que nous nous montrons à la hauteur de la situation, une réaction puissante se déclenche en nous. Nous actionnons ce qui donne un sens à notre vie et découvrons des forces dont nous n’étions même pas conscients. C’est extraordinairement vivifiant d’être capables de changer le statu quo; cela donne le sentiment que notre vie a de la valeur.” L’espérance en mouvement, Joana Macy

Et demain ? 

Certains disent que les nouveaux récits, c’est le marketing qui essaie de sauver sa peau. Nous pensons au contraire qu’il faut jouer avec le jeu qu’on a. Dans l’époque actuelle, le marketing a une puissance qu’on aurait tort de ne pas mettre au service de la transformation.

Mais demain, dans un monde plus sobre, la publicité et le marketing occuperont-ils toujours autant de place ? Peut-être pas. Ou peut-être qu’on utilisera ces ressources (humaines, financières) à d’autres choses jugées plus essentielles. Peut-être. Et peut-être que ce sera bien ainsi. 

En attendant, les marques ont aujourd’hui un rôle crucial à jouer, autant pour faciliter la transition écologique de nos sociétés que pour assurer leur propre pérennité (non sans transformation). Et nous sommes bien décidées à accompagner celles qui saisiront cette opportunité. 

Grand récit ou micro-récit ? Nouveaux récits et marques

Sources

  1. https://www.lefigaro.fr/conjoncture/le-pic-des-energies-fossiles-approche-annonce-l-agence-internationale-de-l-energie-20231024
  2. https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010565748#Tableau
  3. https://www.ladepeche.fr/2024/02/10/ventes-en-baisse-fermetures-ca-continue-en-2024-les-magasins-de-vetements-passees-de-mode-11750253.php
  4. https://kantarmedia.fr/sites/default/files/2024-03/Communiqu%C3%A9%20BUMP2023%20-%2014%20mars%202024%20VDEF130324_0.pdf

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