Nouveaux récits et sport : quels contre-récits proposer ?

Les valeurs du sport n’existent pas dans l’absolu, elles reflètent celles de la société. On le voit en plongeant dans l’histoire du sport et de ses représentations. Il est tour à tour porteur d’une dimension religieuse (dans la Grèce antique), scène d’un entraînement militaire (au Moyen Âge), outil d’éducation des masses populaires (au XIXe siècle), ferment de l’exaltation de l’individualisme (depuis les années 1970)… Il est donc plus pertinent de questionner l’usage que l’on fait du sport plutôt que ses valeurs. Et ces usages se chevauchent, parfois fusionnent. Ils sont vertueux mais aussi souvent pervertis :

  • Oui le sport-santé est a priori vertueux. Mais cet usage médical a été détourné par le régime nazi pour en faire un instrument d’épuration de la “race” aryenne.
  • Oui le sport peut être émancipateur mais il peut être aussi un instrument d’oppression et de propagande comme ce fut le cas dans les pays d’Europe de l’Est pendant la guerre froide.

Et de la même façon que les valeurs d’une société ne sont pas toujours homogènes, les valeurs du sport ou l’usage qu’on en fait ne sont pas univoques. L’idée n’est donc pas de questionner les valeurs du sport mais d’identifier les usages propices à une société plus juste, plus durable et plus heureuse.

Le sport : quels imaginaires déconstruire ?

Sport et nouveaux récits : plaisir actif vs. spectacle passif

Le sport, tel que nous le connaissons aujourd’hui, compétitif, régulé et structuré, est une invention récente. Il est né dans les grandes écoles britanniques au milieu du XIXe siècle. Avant l’ère industrielle et l’exode rural qui conduit les familles à s’établir de plus en plus vers les villes, le temps libre s’articule entre cérémonies religieuses et jeux traditionnels.

Qu’il s’agisse du gouren breton, de la voile antillaise ou de la joute languedocienne, ces jeux reposent sur des traditions locales. Ils sont rattachés à des communautés et sont avant tout l’occasion de se rassembler. C’est un divertissement auquel chacun participe et non un spectacle auquel on assiste. La motivation des participants ? Avant tout s’amuser et partager un moment ensemble. Un sport tisseur de lien et non terreau de l’individualisme. C’est une piste de nouveaux récits du sport tentante, non ?


Nouveaux récits du sport : accomplissement vs. dépassement de soi

L’effort appelle le dépassement de l’effort, le plaisir de faire mieux. Mais faut-il pour autant progresser à tout prix ? C’est la norme sociale dans laquelle nous baignons. Entre l’injonction à la santé et au mouvement (“manger, bouger”) et l’injonction au contrôle de soi, à la maîtrise de son corps, nous tendons à faire du sport un moyen d’être soi en mieux : un meilleur corps et un meilleur mental (un mental de gagnant). Or ce culte de la performance conduit à des dérives : une pression qui atteint la santé mentale, des pratiques sportives extrêmes qui nuisent à la santé voire qui incitent au dopage.

On pourrait croire que le développement personnel qui promeut une meilleure connaissance de soi, de ses besoins, de ses plaisirs et de ses limites, prend le contrepied de cette norme sociale du dépassement de soi. En réalité, le culte du bien-être conduit lui aussi à des dérives. Comme la purification et l’optimisation de l’alimentation (en ne consommant que des produits bons pour la santé). Et/ou des conduites dopantes à base de produits légaux (vitamines, compléments alimentaires…).

L’approche d’un sport santé peut, elle aussi, nourrir le culte de la performance. Utiliser le sport pour rester en bonne santé n’est pas en soi une mauvaise chose. L’obsession de la santé, en revanche, peut être une addiction. Et elle peut alimenter une norme sociale : celle d’un corps performant, que l’on contrôle pour être en forme, énergique et, si possible, jeune et svelte.

Alors que faire pour être dans l’accomplissement plutôt que le dépassement ? Essayer plusieurs pratiques pour trouver celle qui nous correspond. Le yoga ou le pilates conviendra à ceux, très nombreux, qui mettent la santé et la détente en tête de leurs motivations à faire de l’activité physique*. Tandis que les sports de rue comme l’urban climbing ou le BMX iront comme un gant à ceux qui aiment le frisson acrobatique.

Coopération vs. compétition

Pour sortir de la norme de la compétition, on peut se tourner vers les jeux coopératifs. Bien sûr, dans tous les sports collectifs, il y a déjà une dimension de coopération, les joueurs d’une même équipe ayant un but commun. Mais cela s’inscrit dans une logique de compétition avec une autre équipe. Or d’autres pratiques sont possibles : des jeux coopératifs dont la finalité n’est pas de gagner mais d’atteindre un objectif commun. Cela s’inspire de jeux traditionnels comme le jeu de balle des Aztèques où les joueurs maintiennent la course de la balle et coopèrent pour y arriver. Les deux équipes qui jouent sont sur un pied d’égalité au début de la partie et sont aussi à égalité à la fin.

Les jeux coopératifs, de plus en plus présents dans les milieux éducatifs, sont pratiqués en alternance avec les jeux compétitifs. Car l’idée n’est pas de stigmatiser la compétition. Mais simplement de varier les pratiques et de s’assurer que chacun, quelles que soient ses compétences, soit intégré. Cela permet d’éviter de vivre un moment douloureux lorsqu’on est choisi en dernier pour rejoindre une équipe de balle au prisonnier…

Et si… on donnait plus de place aux nouveaux récits sur le sport ?

Pour sortir des normes sociales que nous avons intégrées, la philosophe et ancienne sportive de haut niveau, Isabelle Queval, conseille de projeter dans le sport la société dans laquelle on souhaite vivre… On essaie de faire de la place aux nouveaux récits sur le sport ?

  • Une société plus inclusive, sans vision normative du corps ? Et si le sport était un moyen de se réapproprier son corps ? Et de renouer avec ses ressentis et non un moyen de le contrôler et de le formater ? C’est le cas avec le yoga ou le Qi Gong qui invitent à rester toujours en-deça de ses limites. A écouter son corps et à tendre vers des postures sans chercher à les atteindre.
  • Une société plus résiliente ? Et si le sport était davantage utilisé comme moyen de réparation pour les victimes des stéréotypes et des violences de genre ? En combattant l’autocensure, en valorisant, sans essentialisme, le potentiel des femmes et des porteurs de handicap. C’est le travail que font beaucoup d’associations en France comme ailleurs en utilisant le sport comme outil d’enpouvoirement.
  • Une société plus durable, qui respecte les limites planétaires ? Et si le spectacle sportif se réformait en profondeur pour renoncer au gigantisme des compétitions ? A la débauche de moyens et à la surconsommation qui l’accompagnent ?
  • Une société plus proche de la nature et du vivant ? Et si les pratiques sportives nous permettaient de nous connecter à nous-mêmes et à la nature : c’est le cas du mouvement naturel (MovNat) qui renoue avec notre physiologie. Qui revalorise les mouvements que nous faisions enfants (grimper, sauter, courir) et invite à bouger dans la nature. La course barefoot, elle, consiste à courir équipé de chaussures permettant de sentir le sol. Et le parkour à utiliser en éléments d’obstacle ce que l’on trouve dans l’environnement (troncs d’arbre tombés sur le sol, murets ou mobilier urbain).

Le slow sport : nouveau récit du sport ?

Une société plus heureuse, où l’on prend son temps ? Et si le sport rimait avec slow : pas de course contre la montre ni de pression sur les objectifs à atteindre ? On essaie de ralentir et d’être à l’écoute de son corps. C’est la philosophie du slow sport qui se décline en slow footing (au rythme de 180 pas par minute). Ou en slow fitness (ou low intensity interval training). Ou encore, pour les férus des séances transpi, en séances dans des salles de sport labellisées “slow” qui coachent avec écoute et bienveillance et proposent même des “cafés empathie”. Le principe du slow peut s’appliquer à n’importe quelle activité sportive qu’elle soit intense ou modérée. Que l’on lève des poids, que l’on fasse du vélo ou de la natation, l’idée est de centrer son attention sur soi et ses ressentis. Et non sur le jugement de ce que l’on est en train de faire ni sur la comparaison avec soi-même ou les autres… La force du slow sport est de mettre de côté le culte du corps, la pression des objectifs et l’obsession de la minceur. On se concentre sur l’essentiel : la détente, les sensations, le plaisir d’être ensemble.

*Baromètre national des pratiques sportives 2022, Credoc

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