Utopies réalistes ? Contradiction dans les termes ? Pas du tout ! Et nous allons voir qu’en ces temps où dominent les dystopies, ces scénarios catastrophes concernant notre avenir, on a absolument besoin de rêver de lendemains meilleurs. Pour se faire du bien, certes, mais aussi se mettre en mouvement. Et surtout, surtout, surtout parce qu’il vaut mieux rêver le monde qu’on veut créer.
L’époque est à la dystopie
Vous êtes allés au cinéma récemment ? Il est fort probable que, si votre cinéma compte plus de 3 salles et ne programme pas seulement du cinéma d’auteur, vous ayez vu à l’affiche des dystopies. Les dystopies, ce sont ces visions angoissantes du futur. Entre Mad Max, invasion de monstres venus d’ailleurs, révolte des robots ou catastrophe naturelle… on baigne dans une atmosphère de fin du monde. Les dystopies ont probablement toujours existé. Ce qui est particulièrement remarquable aujourd’hui c’est :
- Leur fréquence. Au cinéma, dans les séries, les livres ou les bandes dessinées. Bref, toute la production culturelle et particulièrement la production culturelle populaire.
- L’absence de contrepoids positif : les utopies sont rares.
Dans son mémoire Comment faire évoluer nos imaginaires, Jules Collé cite même des catégories de dystopies récurrentes au cinéma, comme si c’était un film de genre à part entière :
- sur la conquête spatiale : Interstellar, Gravity, Mission to Mars, Seul sur Mars, Passengers…
- sur l’intelligence Artificielle : IA, I-Robot, Matrix, Ready Player One…
- sur le transhumanisme : Blade Runner, The Island, Minority Report, X-Men, Spiderman, Avengers, Time Out…
- sur l’épuisement des ressources : Waterworld, Blade Runner, Mortal Engines, Wall-E… Catastrophe naturelle Le jour d’après, 2012, Le transperceneige…
- sur les épidémies (donc les zombies) : World War Z, TWD, Contagion, Je suis une légende, Les fils de l’homme…
- sur les guerres avec les aliens : Independance Day, Mars Attack, La guerre des mondes, Avatar, Avengers…
On a beau chercher, les films concernant un avenir enthousiasmant, il n’y en a pas beaucoup.
Les dystopies, réservoirs d’inaction
Alors ça dit évidemment des choses de notre époque. On est au bout d’un cycle, d’un système, c’est la fin d’un monde. Écologiquement, notre manière d’habiter le monde ne tient plus et les ressources comme les énergies se font rares. Socialement, nos institutions sont en crise. Au niveau mondial, la relative période de paix mondiale de ces dernières décennies est sérieusement menacée.
A l’échelle de nos sociétés (et donc d’une grosse partie du monde), on crée des scénarios du futur où les solutions résident bien souvent dans l’invention d’un surhomme ou d’une technologie révolutionnaire. Scénarios peu probables mais qui concentrent toute notre énergie mentale.
Difficile de savoir dans quel bain culturel étaient les habitants de l’Europe à la fin de l’Antiquité. On sait en revanche qu’à la Renaissance, le prédicateur florentin Savonarole criait partout que la fin du monde était proche. Il avait en partie raison. C’était la fin d’une époque, et le début d’une nouvelle ère. Probablement que nous vivons une époque de transition comparable. On voit les choses se terminer, tout ce qu’on a connu perdre de la valeur, notre civilisation s’effriter sous nos yeux. Et c’est angoissant. Les dystopies agissent comme une catharsis face à cette angoisse.
Mais les dystopies ne mettent pas en mouvement. Et c’est bien là leurs limites.
Rêver l’avenir, la seule manière de le créer
Et c’est pourquoi nous devons impérativement rêver à un avenir meilleur. Ce n’est ni un luxe, ni un procédé artificiel. C’est la seule et unique manière de changer le monde sans le subir et de donner réalité à une société plus juste, plus durable et plus heureuse.
D’ailleurs, si on réfléchit un peu aux grandes avancées sociales, c’est souvent ainsi qu’elles se sont produites. Il faut qu’une poignée de philosophes des Lumières rêvent à un mode plus juste pour que les Droits de l’Homme voient le jour. Que seraient les droits des noirs aujourd’hui sans le rêve de Marthin Luther King ? Et le droit de vote des femmes sans les suffragettes ?
Et demain ? La sécurité sociale de l’alimentation ? Le revenu universel sans conditions ? Les communes comme lieu de réinvention de la démocratie ? Les habitats collectifs choisis ? La permaculture pour repenser les espaces au local ? Le vivant replacé au centre de nos vies ? Oui, oui on peut rêver. Mieux, c’est un devoir citoyen de rêver car c’est le premier pas pour créer le monde qu’on veut. En discuter, penser les détails, définir une stratégie puis un plan d’action. Aller convaincre. Faire des tests. Ajuster et donner vie au projet.
« Le futur est ce que nous en ferons. Alors créons les fictions qui alimenteront des prophéties autoréalisatrices d’avenirs géniaux à vivre. Faisons rêver avec l’écologie. Donnons-lui une vision. Il est grand temps de faire des fictions d’écovillages, de monde en paix, de convivialité, de minimalisme, de rêves lucides »,
s’enthousiasme Julien Marcinkowski, formateur et conférencier en sciences du changement, cité dans le mémoire de Jules Collé.
Utopies réalistes : comment rêver l’avenir ?
Des manières de rêver des utopies réalistes (certains parlent de protopies ou possitopies), c’est-à-dire des choses qui n’existent pas encore mais qui pourraient exister si on le décidait, il y en a plusieurs. Certains habitués de méditation sauront facilement se projeter dans un avenir souhaitable pour leur vie, leur habitat, leur profession, leur quartier… Certains peuvent utiliser leur art pour écrire ou dessiner leur monde rêvé. Pour ceux qui ont besoin d’un coup de pouce, il existe des ateliers structurés comme la Fresque des nouveaux récits, les Voyages en 2030 Glorieuses ou les ateliers Futurs proches. Toutes les méthodes sont bonnes.
La mise en énergie grâce au rêve éveillé
Quelques effets collatéraux très intéressants dans ce genre d’expérience de projection positive :
- D’abord, ça fait un bien fou. Si vous avez tendance à être en mode réaliste tout le temps, s’autoriser à imaginer est très libérateur. Quand on sait que le cerveau ne fait pas la différence entre une image fausse et une image vraie, autant le nourrir de belles choses qui donnent la patate. Une séance d’une heure peut booster votre moral pour plusieurs jours.
- Ensuite ça donne de l’énergie concrète. Ça met en mouvement. Car un rêve qu’on a soigneusement visité, il existe déjà un peu ! Et on commence à faire des petits pas vers ce rêve. A se demander comment on pourrait accélérer, ou faire d’autres choix qui vont dans le bon sens. Cela donne un cap, tout simplement.
- Ensuite, le faire en collectif, c’est important et précieux. Partager son rêve et être plusieurs à nourrir un même rêve de détails, ça donne confiance. Un rêve qu’on est plusieurs à faire exister, ça s’appelle une vision commune et c’est déjà du sérieux.
Autre découverte que vous pourriez faire : l’utopie est un muscle. Plus on rêve régulièrement, plus nos rêves sont beaux, ambitieux, précis et riches. Plus on s’offre ce plaisir, plus on devient créatif pour demain.
Utopies réalistes et nouveaux récits
Inventer des nouveaux récits pour demain, c’est exactement ça. Prendre conscience que la culture dans laquelle on baigne n’est pas du tout statique et immuable. On peut prendre une idée, la déconstruire pour inventer autre chose. Rêver autre chose puis lui donner réalité.
Selon Cyril Dion dans son Petit traité de résistance contemporaine, l’invention de nouveaux récits doit répondre à 3 grands objectifs, qu’on peut donner comme cadre à nos rêves d’avenir :
- Stopper la destruction et le réchauffement
- Construire la résilience (interconnectivité et diversité)
- Régénérer (la planète et nos modèles économiques et sociaux)
Et la liste ne s’arrête pas là
- Si on déconstruit notre vision de l’économie, quelle boussole choisit-on à la place du PIB ?
- Si on déconstruit notre vision du métier, à quoi pourrait ressembler une trajectoire de vie ?
- Si on déconstruit notre manière d’exploiter le vivant, quelle relation peut-on créer avec lui ?
Les questions sont infinies. Et nous avons la chance de vivre cette époque merveilleuse où tout est à réinventer.
Alors à vos rêves citoyens !